Maître Delphine BISMAN : « passion et dynamisme », mots d’ordre des commissaires-priseurs
- Julia Pelfrêne
- 7 nov. 2016
- 8 min de lecture

La profession de commissaire-priseur en attire plus d’un parmi ceux qui franchissent les portes des facultés de droit et des écoles d’art. Ainsi, un entretien avec Maître Delphine Bisman, commissaire-priseur dans l’étude familiale située à l’Hôtel des Ventes du Vieux Palais à Rouen, nous permet de vous présenter cette profession à la fois attrayante et méconnue.
La profession de commissaire-priseur décryptée
Bien que la profession en fasse rêver plus d’un, comporte-t-elle des contraintes ? Quelles sont-elles ?
Contrairement à ce que beaucoup croient, elle ne se limite pas à adjuger des objets selon un prix correspondant à leur valeur ou à leur popularité et donner un coup de marteau. Ce métier implique un véritable dévouement passionnel de la part de celui qui l’exerce, ce qui lui permet de surmonter les contraintes, aussi bien celles techniques que celles relevant de l’organisation des ventes. Maître Bisman l’admet d’elle-même : « c’est la passion qui nous tient éveillés ».
Tout d’abord, l’organisation des ventes se fait en deux temps : avant et après. Pour cette raison, le stress est une contrainte en lui-même. La préparation de la vente comporte différents aspects : le stockage, la manutention, la sécurité des objets d’art et des bijoux, la communication et la promotion de la vente, les photographies, la mise en lignes et la mise en pages de catalogues… « Pause » est à la limite de devenir un terme indécent. Les semaines sont chargées en raison de la quantité importante de travail en amont. Et cela ne cesse pas à la fin des enchères. En aval, il faut assurer la gestion de l’envoi des colis pour les enchérisseurs à distance et le règlement de la somme due aux vendeurs. N’importe quel stagiaire s’ébahit devant la charge de travail, qu’il était loin de s’imaginer aussi conséquente. Donc si les ventes aux enchères sont un spectacle agréable, leur préparation n’est pas toujours une partie du plaisir.
D’un point de vue juridique, certaines règles se doivent d’être respectées. La première se nomme « transparence ». Tout et n’importe quoi ne se vendent pas aux enchères. Le commissaire-priseur doit répondre à des impératifs concernant d’une part, la provenance de ce qu’il vend et d’autre part, la destination des meubles qu’il adjuge. Pour ce faire, il est tenu à la rédaction d’un livre de police dans lequel il répertorie tous les biens qu’il vend, et également à celle d’un livre des métaux précieux comprenant exclusivement la répertoration des bijoux. Cela permet d’éviter le recel et instaure, avec la rédaction du procès verbal au cours de la vente, une certaine sécurité juridique, ce que l’on ne peut admettre dans les qualités d’Ebay.
De même, le commissaire-priseur a un devoir de rigueur et de recherche de la plus grande exactitude dans les expertises qu’il applique sur les biens qu’on lui soumet. Il est avant tout un généraliste, ce qui implique qu’il ne peut avoir de parfaites connaissances sur tous les objets. Cela implique qu’il doit savoir apprécier la limite de ses compétences d’expertise pour requérir celles d’un expert pointu dans son domaine (exemple : expert en livres anciens, expert en art africain, etc.).
Qu’aimez-vous le plus dans votre métier ?
Réponse illico presto : « L’éclectisme ! », que ce soit dans les objets qu’elle vend, dans le travail et même dans les relations journalistiques. Maître Bisman s’explique : « on vend aussi bien des réfrigérateurs que des tableaux à 400 000 € », comme ce fut le cas à la vente du 22 novembre 2016 pour un tableau d’Abraham Mignon (voir ci-dessous), une adjucation que la commissaire-priseur n’est pas prête d’oublier car elle est pour l’instant la plus importante de sa carrière.
Et parmi les aspects qu’elle aime, elle ajoute « voir tous les jours des histoires différentes et apprendre tous les jours ». Comme chaque membre d’une famille marque son empreinte dans l’histoire familiale, les objets sont bien souvent les réceptacles ou les souvenirs chéris de ces empreintes : un bijou transmis de mère en fille, des soldats de plomb avec lesquels les petits garçons des générations précédentes ont joué, une statuette de bronze retrouvée dans les débris d’un bombardement de la seconde guerre mondiale…Et l’apprentissage se fait aussi bien par les vendeurs qui content l’histoire de leur famille à travers les objets dont elle a usés, que les acheteurs qui sont souvent des collectionneurs invétérés ou des passionnés, ou encore des experts incollables.
La profession étant essentiellement composée d’hommes, cela a-t-il été difficile pour vous de vous imposer dans ce milieu ?
Maître Bisman nous rassure par l’explication de la féminisation importante de la profession. Néanmoins, elle insiste sur la nécessité de la persévérance, de s’imposer, d’avoir du tempérament pour ne pas se laisser faire, car malheureusement les remarques sexistes ne sont pas rares mais après tout, les autres professions du droit ne nous jetteront pas la première pierre !
La féminisation de la profession présente un certain avantage. Au détriment des messieurs, il faut l’admettre : « les femmes ont une sensibilité et une approche différentes aux objets » selon la commissaire-priseur. Ce ne sont pas mesdemoiselles qui vont s’en plaindre.
Beaucoup d’étudiants franchissant les portes des facultés de droit et d’histoire de l’art sont désireux de devenir commissaire-priseur. Quels conseils donneriez-vous à ces jeunes ?
Nouvelle réponse qui a le mérite d’être franche et directe : « faire des stages ! » chez des commissaires-priseurs, des galeristes, des experts… mais pas seulement. Elle préconise la curiosité, s’intéresser à tout et partout, chercher l’approfondissement de la culture générale et s’adonner à la lecture des livres et à la visite des expositions. Cela suppose également d’assister à des ventes aux enchères, de la plus courante à la plus prestigieuse, de la plus spécialisée à la plus générale, de la plus parisienne à la plus provinciale. Autrement dit, il ne faut pas hésiter à franchir les portes des salles aux enchères si l’envie nous en prend !
L’Hôtel des Ventes du Vieux Palais,
une étude familiale
La profession de votre père a-t-elle influencé le choix de la votre ou bien avez-vous décider seule d’exercer cette profession ?
Maître Bisman répond à cette question en émettant l’idée d’une transmission du savoir, ce qui fait selon elle la force de l’étude, et qu’elle assimile « aux objets qu’on vend et qui passe de main en main ». Il est évident que cela influence son choix de carrière, néanmoins le caractère autonome de la nouvelle gérante de l’étude a fait qu’elle a décidé de son propre chemin, notamment dans ses choix de formations, bien qu’elle décrit une forme de mimétisme.
Alors qu’elle n’était encore qu’un bébé, elle passait les ventes derrière la tribune. Son parcours et sa motivation ont évolué en fonction des ventes. En plus de cela, elle est passée par tous les postes propres à la vente : les enchères téléphoniques, les plaquettes, la rédaction du procès-verbal, la tenue de la caisse et pour finir, celle du marteau !
Racontez-nous l’histoire de l’étude
La narration commence sur une note de rire : « 46 ans d’expérience, ça pose le décor ! » dit Maître Bisman à propos de son père.
A la reconstruction de Rouen après la Seconde guerre mondiale, les locaux qui accueillent l’étude aujourd’hui étaient destinés à être une salle de spectacle. Cependant, avec le bombardement de la cathédrale et la destruction d’autres églises, les Rouennais ont eu besoin de nouveau lieu de culte où se recueillir. C’est alors que la salle de spectacle fut évincée par l’Eglise Jeanne d’Arc, qui disparut lorsque la nouvelle fuit érigée sur la place du Vieux Marché, à côté du monticule symbolisant le bûcher où périt la sainte.
Maître Bisman père acheta les locaux en 1981 pour y installer l’étude, qui est par ailleurs une des plus grandes de France en termes de superficie (un des nombreux intérêts des études de province). Fière de son étude, Maître Bisman fille s’exclame « la plus belle de Normandie ! ». Certains diront que l’Histoire se répète, d’autres diront qu’elle est d’une ironie merveilleuse, puisque la seule salle retourne à sa fonction d’origine : le spectacle. Car selon Maître Bisman, « les ventes aux enchères sont un spectacle où chacun est acteur ». Elle considère la salle comme une personnalité à proprement parler puisqu’elle est l’âme matérielle de l’étude où se déroulent les ventes et passent des trésors.
Récemment, nos commissaires-priseurs de l’Hôtel des Ventes du Vieux Palais sont partis à la conquête de Paris en y ouvrant une succursale.
Rouen, la Terre promise des commissaires-priseurs ?
Depuis quelques années, de nouvelles salles des ventes émergent un peu partout dans Rouen, à tel point qu’elle est la ville de France comportant le plus d’études de commissaires-priseurs en proportion du nombred’habitants. Le phénomène a fait l’objet d’une question posée à Maître Bisman.
La commissaire-priseur explique cela par le fait que Rouen est une ville historique, riche par le passé, se situant dans le palmarès des villes les plus influentes au Moyen-Age. Le succès de la ville chez les commissaires-priseurs s’explique également par sa proximité avec la capitale, il n’en est pas moins étonnant quand on sait que Lille, dont la superficie et l’attractivité dépassent de loin Rouen (les étudiants rouennais ne me contrediront pas sous peine d’être accusés de mauvaise foi) comporte seulement deux études. Les autres grandes métropoles françaises avoisinent le même nombre.
Lors d’un entretien précédent, vous nous avez expliqué que vous aviez donné une goutte d’élixir de jouvence à l’étude
« Le métier étant vieillissant, il est apparu urgent de se moderniser, de s’adapter ». Cette modernisation passe par les nouvelles technologiques, notamment en ouvrant la porte au Live. Le Live est une plateforme internet sur lequel les acheteurs potentiels peuvent enchérir de chez eux et simultanément sur une vente aux enchères qui a lieu en présentiel (inutile de préciser que cela ne vaut pas le spectacle vivant de la vente en elle-même, mais on ne peut pas tout avoir !). Cet outil ludique fait partie des outils du commissaire-priseur qui exerce sa passion avec son temps, ce qui est le cas de Maître Bisman qui ajoute : « nous avons dû revoir notre façon de travailler ».
Les questionnements sur l’avenir de la profession
On voit de plus en plus d’émissions telles que « Un trésor dans ma maison ». Quant à vous, vous avez déjà été la sujette d’articles dans la presse régionale et nationale. En plus de cela, vous passez régulièrement à la radio. Souhaiteriez-vous participer à ce type d’émissions ?
Maître Bisman répond par la positive et s’enquiert de nous faire part de sa participation à une émission sur D8 en tant qu’experte en bijoux et pièces d’or.
Contrairement à d’autres commissaires-priseurs qui pourraient percevoir dans ces émissions une vulgarisation de leur profession, Delphine Bisman y voit un but visionnaire : celui de faire connaître un métier trop déformé ou trop méconnu.
« On assiste à une démocratisation des ventes aux enchères »
Selon elle, ces émissions sont nécessaires pour que les gens se rendent compte que la plupart des objets vendus sont ceux de tous les jours. Il s’agit aussi de faire découvrir et aimer une ambiance : « Il faut donner envie aux gens de pousser les portes des salles des ventes ! Elles sont ouvertes à tous, pour toutes les personnes majeures et elles sont gratuites (enfin sauf si on lève la main #rires) »
Certains s’interrogent sur les différentes réformes susceptibles de mettre en péril la profession, surtout depuis la loi Macron. Selon vous, a-t-elle encore un bel avenir devant-elle ?
Petit rappel à destination de ceux qui ne connaîtraient pas les grandes lignes de la réforme Macron : atomisation du marché de la vente aux enchères, disparition du maillage territorial (libre installation), appauvrissement des expertises, création de la fonction des commissaires de justice signifiant la fusion de la profession avec les huissiers et disparition des offices ad’hoc.
Maître Bisman nous rassure avec confiance : « Notre métier est l’un de ceux qui font le plus rêver. Après tout, on vend du rêve. La profession n’a pas cessé d’évoluer. En plus de cela, il y a un attachement au patrimoine et une réelle volonté de retour aux sources. Les salles des ventes existeront toujours. C’est à nous de nous adapter aux nouveaux impératifs qui s’imposent à nous. On doit montrer qu’on est compétent et dans tous les cas, nous avons un devoir de conseil inégalable qui subsiste est qui n’est pas anodin. » Elle rajoute : « nous avons un devoir de transmission historique et culturel où chacun peut acquérir un morceau du patrimoine français et pas forcément à 1 000 000 d’euros. »
Pour revenir à la compétence de nos commissaires-priseurs français, nous pouvons en être légitimement fiers pour la simple et bonne raison que ce sont les seuls du monde à être diplômés ! Encore un domaine où nous les Français excellons !
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