La défense d'Abdeslam : pour le meilleur ou pour le pire
- Valentine Walschote
- 19 oct. 2016
- 4 min de lecture

Le poids d'un silence
Salah Abdeslam est emprisonné depuis le 27 avril dans l’Essone, après avoir été arrêté le 18 mars à Bruxelles. Lors de sa première audition en France, l’homme de 27 ans avait dit, selon ses avocats, qu’il s’exprimerait au sujet de sa participation aux attentats, le 19 mars, au lendemain de son interpellation et alors que les attentats de Bruxelles n’avaient pas encore eu lieu. Il confirmera avoir loué les voitures et réservé les hôtels, été le chauffeur des trois kamikazes du Stade de France. Il aurait dû s’y faire exploser, mais y a renoncé. De plus, il présentera à cette audition Abdelhamid Abaaoud comme l’instigateur des attentats. Depuis, il se tait.
L’unique membre encore vivant des attentats du 13 novembre 2015, avait refusé, le 8 septembre, de répondre aux questions du juge d’instruction enquêtant sur les attentats de Paris et de Saint-Denis. Un troisième silence. Une troisième fois qu’il n’a dit mot. Son avocat français, Frank Berton, et son avocat belge, Sven Mary, avaient alors rétorqué que ce silence « n’est pas contestable », en ce qu’il est de son plein droit. Il avait ajouté, de même, que « l’instruction va être longue ». On avait déjà témoignage d’une sorte d’impatience, non pas en ce qu’il avait hâte, mais qu’il trouvait que la résolution de l’affaire, ou du moins son avancement, commençait à devenir long. A un moment où à un autre, on devrait bien franchir quelques étapes. Lors de son dernier interrogatoire, la seule phrase qu’il a prononcée fut : « Comme je vous l’ai dit, monsieur, je désire garder le silence, je ne donnerai pas d’explications. »
La justice pense que Mehdi Nemmouche, soupçonné d’être l’auteur de l’attaque contre le musée juif de Bruxelles, le 24 mai 2014, a peut-être un rôle dans l’attitude de Salah Abdeslam. Lors de son passage en prison en Belgique, ils ont pu échanger par les fenêtres.
Une défense d'exception
Ses avocats (ex-avocats) pensent, eux, que c’est les conditions de sa détention qui lui empêchent de réfléchir sciemment.
Frank Berton est né en 1962 à Amiens. Il est installé à Lille depuis de nombreuses années en tant qu’avocat. Sa renommée réside dans sa détermination à la défense de nombreux français à l’étranger. Il est spécialisé dans le droit pénal et le droit de la presse. L’affaire la plus emblématique de la carrière de Frank Berton est l’affaire Florence Cassez, où il prendra part à une grande bataille menée par Cassez elle-même, incarcérée au Mexique pour enlèvements, séquestrations et délinquance organisée. Il fut parvenu à démontrer la mise en scène de la fausse arrestation et ainsi obtient sa libération à la suite d’une annulation pour vice de procédures.
De cette sorte, et on ne s’y attendait absolument pas, les deux avocats de Salah Abdeslam ont annoncé, mercredi 12 octobre, qu’ils renonçaient à le défendre. Les avocats, dès le départ, avaient dit qu’ils acceptaient de le défendre seulement s’il acceptait de parler. Oui, mais surprenant de la part de Berton, si résigné et impliqué qu’on le connait. Tel ne fut le cas ici. Ainsi, Salah Abdeslam ne sera plus représenté en justice. Les avocats, tous deux, ont d’abord invoqué officiellement que le prévenu avait écrit au juge d’instruction qu’il ne souhaitait plus être représenté. On sait que le refus de parler de Salah Abdeslam fut le véritable élément déterminant. Dès lors que le détenu ne souhaitait plus parler, M. Berton a estimé à son sujet « mon rôle cesse, il n’a plus de sens ». Un avocat est grand pour sa plaidoirie. Pour être en mesure de la construire, il faut bien évidemment de la matière, de quoi faire. Il n’en est rien quand on ne sait rien « Du moment que je porte la parole d'un homme, mais
pas son silence. Un médecin sans patient ne guérit personne. Il en va de même de la défense d'un avocat, elle n'existe pas sans le client. »
Une renonciation imprévue
Etre représenté par un avocat est un droit, non pas un devoir. Pendant toute la durée de l'instruction, la présence d'un avocat aux côtés du prévenu n'est pas obligatoire. Elle le sera en revanche au moment du procès. Si Salah Abdeslam n’en désigne pas un lui-même pour son procès, c’est le président de la cour d’assises qui lui en imposera un, commis d’office. L’accusé pourra le récuser à sa guise, mais le président devra aussitôt en commettre un autre.
« On crée un mutisme chez Salah Abdeslam mais les vraies victimes dans tout ça, c’est les victimes des attentats de Paris, parce qu’elles ont droit à cette vérité et elles ont droit à tenter de comprendre l’incompréhensible », déplore Sven Mary. La décision des avocats n'est pas sans inquiéter les victimes des attentats. Selon Stéphane Gicquel, président de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs, les victimes et leurs familles « sont très attachées à l'idée d'un procès », et là, elles se demandent si cette démission ne va pas compromettre l’issue du procès. Bien sûr, il faut leur rappeler que la procédure judiciaire ne repose pas sur la parole d'Abdeslam.
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